• l'armoire bigourdane

    Je suis une armoire affublée d'un drôle de qualificatif qui ressemble à une charade :

    Multiplie par deux=bi

    Stupide=gourde

    Encore stupide=âne

    Moi deux fois stupide, ou même quatre fois si on multiplie gourde-âne par deux...

     

    Pourquoi mériterais-je ces injures, alors que je suis juste née en Bigorre, région voisine du Béarn. On associe souvent nos deux régions, car les habitants sont cousins germains, souvent des montagnards, et leurs langues (leurs vraies langues de toujours, pas le français imposé) se ressemblent beaucoup.

    Autrefois, dans les campagnes reculées, on n’allait pas au supermarché d’à côté pour acheter, vite fait, un meuble en kit. Vous connaissez ces meubles vendus dans des cartons : il y a des morceaux de trucs ressemblant à du bois, des vis, parfois en plastique, et un papier qui montre en quelques dessins comment assembler le tout. Il paraît même que, si on s’y prend bien, on va à la grande surface le samedi matin, on charge la voiture, et le dimanche soir on a une cuisine prête à servir.
    Les enfants de maintenant sont habitués à voir leurs parents changer le décor de leur logement plus souvent qu’on n’achetait un vêtement il y a seulement quelques dizaines d‘années.

    Lors de la construction de leur logis, les premiers habitants de la maison de là-haut firent venir un menuisier. L’homme de l’art mesura la pièce pour laquelle il fallait un meuble, et me fabriqua, moi, magnifique armoire typiquement bigourdane, en utilisant du bois bien sec qui était rangé dans son atelier depuis des années.

     

    l'armoire bigourdane

    Plus haute que mes utilisateurs, j’ai rendu de bons et loyaux services durant … plus de deux cents ans. La maison était une vraie maison de famille, et elle fut transmise aux descendants, de génération en génération, jusqu’à la fin du XXème siècle. À ce moment-là, les trois propriétaires indivises n’avaient pas assez de moyens financiers pour entretenir la grande maison, ni des logements suffisamment grands pour conserver tous les meubles. Elles prirent la décision de ne garder que ce qui leur plaisait vraiment, et de vendre la maison avec le reste de son mobilier.

    L’une d’elles avait eu l’intention de m’installer dans son logis, mais j’ai résisté aux déménageurs. J’étais au deuxième étage, même en cassant le chambranle de la porte (qui est un peu branlant et a besoin de réparations), il était impossible de me descendre entière.

    l'armoire bigourdane

     

    Il fallait me démonter. Mais, je suis du vrai meuble, du bien solide. J’ai retenu mes chevilles qui n’ont pas voulu se laisser enlever. Alors les propriétaires ont abandonné la lutte, et m’ont laissée à ma place. Ouf, j’avais eu chaud ! Les acheteurs anglais étaient fiers et ravis de posséder quelques meubles anciens dont j‘étais une des plus belles pièces.

    Quelques années ont passé, et les anglais à leur tour ont dû se séparer de la maison. Ils ont pensé qu’ils vendraient aisément leurs beaux meubles français pour un bon prix outre-manche.
    Ils ont fait venir leurs déménageurs avec un grand camion, ils ont tout emporté, … sauf moi qui ai opposé la même résistance que quelques années auparavant. Ils m’ont fait mal en s’acharnant sur mes chevilles, de vrais sauvages sans pitié.

    l'armoire bigourdane

     

    Mais que peuvent ces pauvres étrangers contre une armoire trop attachée à ses racines ?
    Cette fois-là, c’est l’Ours et la Fourmi qui ont acheté la maison. De vrais amoureux du passé, respectant les vieilles pierres et le vieux bois.
    Ils ont prévu de faire des chambres d’hôtes, et pour cela des travaux étaient nécessaires.  Hou là là, qu’allait-il m’arriver ? Dans le passé, ma chambre avait été retapissée ou repeinte : on me poussait, puis je retrouvais ma place. Je suis habituée à mon paysage, moi.
    L’Ours et la Fourmi me trouvaient si belle qu’ils voulaient que tout le monde m’admire : quel meilleur emplacement que le palier du deuxième étage ?

    Celui qui dessert les quatre chambres prévues pour les clients. Bof ! Me disais-je. Je vais être dans la pénombre, je ne verrai ni le jardin, ni la montagne. Mais j’allais me rendre vraiment utile et je ferais un peu la vedette : la Fourmi voulait que j’héberge tout le linge de toilette et de lit de l’étage, et les gens de la ville s‘extasieraient tous en me voyant !

    C'est sûr que j'allais avoir plus fière allure que l'armoire très ordinaire qui occupe la place.

     

    Les travaux ont donc eu lieu : gestion de l’espace, déplacement de quelques cloisons, création de salles d’eau, tout s’est bien passé.
    Sauf que, à la fin, il s’est avéré que je ne pouvais pas loger dans l’emplacement qui m’était réservé !!!
    Erreur des plaquistes, du menuisier ? Des propriétaires ?

    Les humains doivent reconnaître qu'ils ne sont pas tout-puissants et que les meubles et les objets ont des forces cachées.

    C'est la Fourmi qui  fut rassurée : elle se demandait bien comment elle allait pouvoir aider l'Ours à me déménager, alors que deux équipes d'hommes n'avaient pas réussi. Elle craignait le fameux "viens m'aider" !


    Pour le moment , je suis rebaptisée « armoire du ski », car presque tous les membres de la famille laissent à la montagne leurs doudounes, salopettes, grosses chaussettes, lunettes et casques.

    l'armoire bigourdane

     

    Drôle de destinée pour un meuble fabriqué au moment où le ski n’existait pas, et où personne n’habitait le village en hiver ! Il va tout de même falloir que l’Ours se décide à réparer les outrages causés par ces brutes de déménageurs … et que la Fourmi m'astique un peu. Et qu'enfin ils donnent un bon coup de neuf à ma chambre qui est la plus moche de la maison.

    Parce que je le vaux bien, non ?

     

    l'armoire bigourdane

    Je suis aux "Gentianes", nommée ainsi car les murs sont d'un bleu épouvantable pour une chambre, bien qu'il soit particulièrement beau pour des fleurs.

     

     

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  • Commentaires

    9
    Jeudi 21 Août 2014 à 22:13

    Oui, c'est une trop belle armoire et elle méritait de continuer sa vie . Le travail de nos anciens c'était de l'art. Amtiés de Géno

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    8
    Vendredi 6 Juin 2014 à 11:09

    Dépêche-toi jolie Fourmi de restaurer cette magnificence! alors tu es hôtesse! Mon rêve mais manque trop les euros! déjà si j'arrive à mettre en place mon atelier de peinture! Bise de jour! A+! clown

    7
    Vendredi 6 Juin 2014 à 07:30

    Vos commentaires sont rassurants : je ne suis pas la seule attachée à des vieilleries. Le passé a encore un avenir.

    @ Isa : Cherche un peu, et tu trouveras ton "lieu magique".

    6
    Jeudi 5 Juin 2014 à 18:03

    Il est sûr que les logiques ont bien changé, maintenant tout est jetable et à la durée de vie très courte. La qualité n'existe plus.

    5
    Jeudi 5 Juin 2014 à 08:47

    Cette armoire a bien raison de résister à ceux qui voudraient lui faire connaître d'autres horizons où elle ne serait pas "chez "elle".

    Moi aussi dans mon Terrier, j'ai une armoire qui n'a pas voulu sortir de sa chambre pour passer dans une pièce plus adaptée... alors on s'organise avec et autour!

    4
    Mercredi 4 Juin 2014 à 22:19

    Cette armoire, qui venait de Lorraine, c'est ma soeur qui l'a récupéré. Elle lui servait quand elle était chez mes parents. Au moins, elle est à l'abri des griffes de mes deux grimpeurs.

    Merci pour ton passage, fourmi des montagnes et au plaisir de te lire.

    3
    la pyrénéenne
    Mercredi 4 Juin 2014 à 22:03

      Magnifique histoire, et superbe armoire tu as de la chance d'avoir un si beau meuble.

    Bises à toi et douce caresse à l'armoire. Andrée.

     

     

    2
    Mercredi 4 Juin 2014 à 21:44
    MiaouIsa

    Charmante armoire, je suis ravie que tu sortes de l'"ombre" et de lire ce joli récit dont je connaissais quelques brides. Comment donc la Fourmi et l'Ours vont ils enjoliver ton écrin ?

    Je suis curieuse de le savoir ...

    et du coup, comme cela, apres t'avoir lu je me suis recité ce poeme de mon enfance...

    Une envie ...

    Le Buffet
    «  C'est un large buffet sculpté, le chêne sombre,
    Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
    Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
    Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

    Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
    De linges odorants et jaunes, de chiffons
    De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
    De fichus de grand-mère où sont peints des griffons

    – C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
    De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
    Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

    – Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
    Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
    Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.  »
    Rimbaud
     
    Caresses sur ton beau bois.
     
    IsaMiaou
     
    PS, La Fourmi, viens donc me voir à Angouleme et Emmanuelle te fera visiter un lieu que tu adoreras, cela j'en suis sure . Vous habitez toutes deux des lieux magiques....
     
    Ben voila, en direct live, une révélation.
    Dans nos ambitions, nous sommes parfois trop modestes et je projetais pour dans quelques temps, une petite maison, avec un rez de chaussé donnant sur un jardin  genre curé potager et fleurs mêlées,  , un atelier à moi avec une jolie vue...mais foin de rêves du genre ....
    mais foin de rêves modestes
    JE VEUX, moi aussi, HABITER UN LIEU MAGIQUE !!!!
    Je confie mon souhait à l'Univers ...

     

    1
    Mercredi 4 Juin 2014 à 20:34

     Une belle histoire et un meuble magnifique ! J'ai également chez moi quelques meubles anciens, armoires en particulier, rétifs à toutes tentatives de démontage... ^^

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